Maybe. [ Shinzo ]

Appoline avait commencé sa journée par un café au lait brûlant et elle la terminait par une tasse de café dans un bar qu'elle avait remarqué en début de semaine. Aujourd'hui, elle s'était vêtue d'un tee-shirt type marcel uni bleu marine pâle et d'un jean slim noir. Elle avait enfilé ses sempiternelles converses qu'elle ne quittait que lorsqu'elle allait à la plage avec ses parents. Les cheveux d'Appoline étaient remontés par un chignon qui lui dégageait le visage, même si sa mèche, qu'elle glissait automatiquement derrière son oreille, lui cachait parfois la vue. Assise à sa table contre la fenêtre d'où le soleil rentrait péniblement, mal gré qu'il se couchait, elle sirotait son café tout en lisant un livre. Le livre de ma mère. Elle l'avait déjà lu plusieurs fois mais ne pouvait se passer du style d'écriture d'Albert Cohen. Appoline s'identifiait facilement à la mère de ce dernier. Elle aussi se contentait d'observer les gens. Elle avait remarqué que tous les japonais, sans réelle exception était extravertie, jouaient sur la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux. Ils se pensaient tous irrésistiblement beau et cela dégoutait Appoline. Ils étaient a quelques détails près de bons français narcissique et égoïste. Elle déglutit et tourna une nouvelle page. Lorsqu'elle eut finit son café, elle appela un garçon pour l'addition. Celui-ci s'empressa de venir récupérer les quelques yens qui se trouvaient sur la coupelle ainsi qu'un petit pour boire. L'ambiance de se bar, même en soirée, était plutôt calme, ce qui permettait a Appoline de lire dans un silence rythmé par quelques rires discrets. Elle posa son livre, y glissa son marque page et demanda au serveur.

-Je peux rester ici sans consommer d'avantage ?
-On peut bien faire des exception pour des clientes comme vous.

Il lui sourit et elle a demi. Sourire pour sourire ce n'était pas un vrai sourire. Elle soupira et se remit à sa lecture. Plus le soleil se couchait, plus le bar se remplissait de couples plus ou moins louches, de bandes de copains plus bruyants les uns les autres. Elle posa son livre a plat et jeta un coup d'œil dans la salle. La plus parts des clients étaient des motards ou des hommes en recherche de cuites et de nana. A vraie dire, les femmes n'étaient pas nombreuses et toutes accompagnées, sauf Appoline. L'un d'eux vint la voir éméché, il lui proposa de se joindre à sa bande et elle refusa. Elle était parfois naïve mais pas au point de se jeter les bras grand ouverts dans la gueule du loup. A plusieurs reprises, on vint la voir, et a chaque fois elle déclinait l'offre. Les bras croisés, elle regardait par la fenêtre. Les lampadaires étaient allumés, ainsi que toutes les enseignes des magasins voisins. Le japon était vraiment lumineux la nuit. Elle remit sa mèche derrière son oreille et observa les bandes de jeunes à l'extérieur. Tous plus ou moins saoul. Appoline roula des yeux et s'adossa a la vitre, contempla avec horreur les gens du bar. C'était donc ça un bar le soir ? Remplis d'ivrogne ?Regardant l'heure sur sa montre, elle se rendit compte qu'il était bien trop tard pour trainer dans un bar à cette heure-ci. Elle se leva, prit son livre qu'elle mit dans son sac en bandoulière et lança un dernier regard vers la salle. Réprimant un rire nerveux, elle sortit du bar, faisant sonner la petit clochette au dessus de la porte. Une fois dehors, elle eut rapidement froid et se frotta le bras pour se donner un peu de chaleur, aussi humaine soit-elle. Appoline eut l'idée d'appeler ses parents. Cela faisait 2 jours qu'elle n'avait donné aucun signe de vie. Même avec le décalage horaire, elle pouvait communiquer, tard. Elle fouilla ses poches avant et ne trouvant rien, elle tapota celles de derrière. Rien. Comme pour se punir, elle se frappa le front de sa paume de main et fit demi-tour. Il devait probablement être sur sa table, dans le bar. Elle déglutit une nouvelle fois, ne souhaitant pas remettre un pied en ces lieux. Une fois la porte poussé, l'odeur de l'alcool emplit ses narines et elle toussa discrètement. Elle s'avança vers le comptoir, sous les regards des motards et autres délinquants japonais - Yakuza disait-on. Appoline se pencha vers le barman et demanda se forçant a parler fort pour surmonter les rires imbéciles des autres clients.

-J'ai laissé mon portable ici, vous ne l'avez pas ?

Le barman se contenta d'enfoncer sa main dans son tablier et en ressortit le précieux mobile. Appoline lui fit signe que c'était bien lui mais il ne réagit pas et lui dit d'un ton moqueur.

-Et qu'est ce que j'ai en retour ?

-La possibilité de ne pas aller au poste ce soir pour vol et pour vente d'alcool fort a des mineurs ?

Elle désigna d'un coup d'œil une table un peut plus loin autour de laquelle des adolescents buvaient joyeusement un verre d'alcool. Il grimaça et le lui tendit. Appoline lui arracha des mains, un sourire en coin. Victoire! Elle se retourna et trop concentré sur les touches de son portable, elle bouscula un jeune homme [ toi ]. Elle leva la tête et s'aperçut que le verre de celui-ci s'était déversé sur sa chemise. Elle s'excusa et sortit de l'établissement en un courant d'air.

Elle s'en était rendue compte, de ce contact rapide et de ce vide. On lui avait volé quelque chose. Elle le savait. Il lui avait volé quelque chose et il le savait. Elle était donc dehors, adossée au mur du magasin voisin, Appoline n'était donc pas visible de l'intérieur du bar. Elle allait être stupide, elle le savait et elle ne ferait rien contre. Après avoir fouillé minutieusement ses poches et son sac, elle constata qu'il lui manquait son porte feuille. Il y avait peu de Yens et quelques billet de 5 et de 10 €. Certes, il n'y avait pas beaucoup d'argent mais il y avait sa carte de lycéenne, sa carte d'identité française et son autorisation pour rester vivre au Japon. Elle se souvint aussi qu'il y avait quelques numéros important dont elle n'avait pas pris le temps de les enregistrer dans son portable? Appoline soupira et s'étira par la même occasion. Plusieurs fois, la porte du bar claque. Des gens rentraient d'autres sortaient mais pas celui qu'elle attendait. Elle attendait ce drôle d'individu aux cheveux complètement décoloré, aux habits voyants – du moins assez clair pour se faire remarquer de loin. Pendant plus d'une demi-heure, elle attendit patiemment contre ce mur et mal gré sa conscience qui lui ordonnait de rentrer au lycée, elle restait dehors. Ce n'était pas très recommandé pour une jeune fille et le fait qu'une fille de son âge soit dehors surpris plus d'un qui vinrent l'embêter pour « rigoler ». A chaque nouvel inconnu, sa conscience lui hurlait de partir, de laisser tomber et d'aller le lendemain au poste. Mais rien ne pouvait la faire renoncer maintenant. C'était trop tard. Il était sortit et visiblement il avait les poches pleines. Bien entendu il avait surement vu qu'elle le suivait et elle s'en était rendue compte. Elle n'était pas aussi discrète qu'elle l'aurait souhaité. Appoline accéléra le pas et fut a une longueur de bras du jeune voleur. Elle l'empoigna, l'obligeant à se retourner.

-Vous avez quelque chose qui m'appartient non ?

En bonne fille bien éduquée, elle le vouvoyait, même s'il ne devait pas être bien plus vieux qu'elle. Il avait un sale regard ce type. Bien plus assuré qu'elle. En croisant son regard, Appoline tressaillit et eut une soudaine envie de fuir a toutes jambes mais elle ne fit rien et se contenta de la fixer tout en le tenant par le poignet.

-Ne le niez pas, je l'ai sentie, votre main.

Elle secoua la main en question, essayant de se faire passer pour une « dure ». Sans succès. Elle lâcha le bras du pickpocket et soupira remettant inquiète sa mèche derrière l'oreille. Puis, elle le fixa un moment et rajouta.

-Non, franchement, rendez moi mon porte feuille. C'est pas une heure à laquelle je devrais trainer en ville.

Appoline se fourra les mains dans les poches attendant impatiemment qu'on lui rende son porte-feuille. Le Japon était vraiment étrange. Remplis d'occidentaux aux noms asiatiques, tous plus bizarres les uns les autres. Elle roula des yeux et se dit qu'elle aurait mieux fait de rester à Arcachon, continué a être l'exclue et retrouver ses habitudes. Appo' secoua la tête pour effacer ces pensées, elle se concentra a nouveau sur l'inconnu. Il n'avait rien de plus ou de moins que les autres japonais qu'elle avait rencontré. Si, peut-être le fait qu'il ai osé lui soutirer de l'argent et qu'il, mal gré lui, s'est fait pincé. Pas sur d'elle du tout, Appoline détourna le regard vers la rue. Vide de tout. Les enseignes allumées éclairaient la rue laissant par moment des coins plus sombres que d'autres comme celui où se trouvaient nos deux compères. Elle se mordit la lèvre inférieur et dévisagea l'inconnu. Tout habillé de blanc et de couleur pâles il avait l'air froid et bien trop sûr de lui pour lui rendre quoi que ce soit. Elle décida donc de renchérir en le fixant.

-Vous devriez me le rendre, vous ne savez pas ce qu'il pourrait se passer, j'ai des connaissances.

Mensonge. Elle ne connaissait tout bonnement personne et ne lui ferait rien. Elle se contenterait de faire une déclaration de vol au poste de police et oublierait tout ce qui se serait passer. Mal gré cela, elle continua.

-...Après, je ne suis pas vous mais bon, on ne sait jamais.

Ce soir elle mentait. Ce soir elle était stupide, elle en était consciente. Elle regarda l'heure pour masquer son inquiétude. Allait-il gober ce qu'elle lui disait ? Elle ne le savait pas, mais il n'avait pas l'air d'être un pigeon. Puis, elle détourna le regard et attendit.

Elle n'aurait certainement pas du mentir, elle aurait pu éviter ce qui lui arrivait. Alors que le groupe s'avançait vers elle, lui, il reculait, aussi tranquillement. Etaient-ils avec lui ? Ou était-ce le hasard? Appoline leur fit face, un sourire aux lèvres imaginant que cela pouvait faire croire qu'elle était sûre de ce qu'elle allait faire. Ce qui était faux. Aussi faux que la couleur de la chevelure de l'autre garçon qui lui avait dérobé sous son nez -ou presque- son porte-feuille. Même vide, il avait de la valeur. Elle inspira et ils s'arrêtèrent. L'un deux continua néanmoins d'avancer, plus sûre de lui que Appoline. Il lui sourit et entama une conversation a sens unique.

-Et bien, ce n'est pas une heure pour sortir ça...

Elle le savait, bien sur, elle lui avait même dit, il l'avait écouté ? Depuis là-bas ? Impossible. Il avait raison. Évidemment, elle ne lui répondait pas et se contentait de reculer d'un pas a chaque phrase qu'il prononçait, débutant ainsi sa fuite, aussi inutile qu'elle puisse être. Bien qu'elle soit rapide, elle n'était pas d'humeur a faire quelque effort qu'il soit. Il continua, la fixant un peu plus a chaque fois qu'un mot sortait d'entre ses lèvres, c'était possible ?

-Tu ne devrais pas trainer seule tu sais?

Ça aussi elle le savait, elle en était consciente. Mais visiblement c'était sa soirée. Elle soupira et il s'en rendit compte. Alors il ajouta élargissant ce sourire qui déformait son visage comme si c'était la dernière chose qu'elle verrait ce soir.

-Je t'embête ? Tu préfères peut-être qu'ils te raccompagnent?

Il pointa du doigt ses « amis ». Plus saouls les uns que les autres. Le japon pullulait d'ivrognes et d'hommes et de femmes en manque d'adrénaline. Elle déglutit et mal gré cela, il continua se rapprochant encore un peur, obligeant Appoline a reculer, encore.

-On ne sait jamais ce qui pourrait t'arriver. Tu sais, la nuit, les rues...et les ruelles ne sont pas très sûres au Japon.

Ainsi se termina sa fuite. Elle rencontra alors un mur. Bloquée...ou presque. Il souriait, c'était ça qu'il attendait n'est-ce pas ?Plaquant ses deux mains de chaque côté d'Appoline, il scella ainsi cet espace. Il se pencha sur elle mais elle esquiva. Passant sous un de ses bras, elle courut. Pas très vite certes, mais il était tard, bien trop tard pour être sérieuse. Par chance, ou pas, elle passa près de cet homme. Celui qui lui avait attiré les ennuis qui lui courraient après. Et par pitié aussi, elle lui attrapa le bras, l'entrainant dans sa course poursuite, bien qu'on la poursuivait et qu'elle entrainait aussi le « voleur » dans ses ennuis a elle. Elle sourit et lorsque la rue fut plus sombre, elle tourna sèchement a droite. Appoline, de sa « force » plaqua l'inconnu contre le mur, l'empêchant de dire un mot. Une fois les personnes les plus idiotes qu'elle ait rencontré jusqu'ici semées, elle retint l'homme aux cheveux blanc par le col et lui dit, le fixant méchamment.

-Bon, écoutes moi bien...

Elle le tutoyait, elle était donc énervée et Appoline ne jouait plus au jeu qu'elle avait commencé avec ce type. Elle appuya encore un peu sur sa prise, l'obligeant a rester tranquil. Ce qui était sûr c'était que s'il se défendait, elle s'en prendrait plein la gueule, mais elle espérait que cela suffirait et qu'il lui remettrait son porte-feuille. C'est fou comme toutes les personnes qu'elle avait rencontré jusqu'à présent pouvait la mettre en boule. Finalement ce n'était peut-être pas une bonne idée de rester au Japon. Elle continua en insistant bien.

-Tu vas gentiment me rendre ce que tu m'as pris ou je le prendrais par la force.

La force? Qu'elle force? La colère lui faisait peut-être perdre la raison. Elle savait bien qu'elle n'avait pas de force et qu'elle ne tirerait rien de cette histoire. A part peut-être le fait de ne plus trainer en ville le soir seule. Ce qui ne se reproduirait plus. Appoline enfonça judicieusement sa main libre dans l'une des poches du garçon et en ressortit une montre a gousset. Parfait. Elle regarda l'heure et fronça des sourcils, il était effectivement plus tard qu'elle ne le pensait. Puis, instinctivement, elle tira sur la chaine et déchira la poche. Surprise, elle lâcha la prise qu'elle avait conservée sur le jeune homme et garda la montre en main. Elle sourit et jeta un coup d'œil au visage du garçon qui lui, ne souriait plus du tout.