Plic Ploc au bord du lac (libre)

Louanne avait décidé de mettre le nez dehors.
Assis au bord du lac, elle griffonnait distraitement dans son carnet, son fusain crissant sur le papier épais et faisant pleuvoir une fine poudre noire sur les genoux de la jeune femme.
Au bout d'un moment, elle referma le livre d'un claquement et se dandina un peu pour mieux se caler.
Le menton posé sur ses bras croisés, et elle décolla dans ses songeries. Chaque bruit, chaque murmure appelait d'autres images, d'autres temps, d'autres lieux...

Le vieux moustachu qui peignait un portrait par-dessus un paysage hollandais, sur le pont des Arts à Paris; l'odeur entêtante de la térébenthine des ateliers de marqueterie; les clapotis incessants, les reflets changeants des eaux d'un loch écossais à l'ombre des monts, l'animation d'un marché roumain, la musique affolée des tziganes un soir de juin...

Le vent forcit, et chargea le ciel de lourds nuages de pluie qui dépassaient la crête des hautes collines au-delà du lac et de la forêt. Bientôt, une pluie fine se mit à tomber sur les versants, formant de larges tentures gris perle, ondulant doucement au gré des rafales.
Autour de lui tout murmurait, ondulait et dansait dans le vent froid qui semait des gemmes étincelantes sur le paysage encore baigné de soleil, loin derrière le château.

L'averse passa sur les sommets, effleurant leurs crêtes de pierre noire, libérant sur le lac interminable des trouées de lumière dorée, comme des doigts d'or caressant les flots avec tendresse; le ciel bleu apparut derrière les nuages gonflés, et l'univers lui fit grâce de la vision féerique d'un arc en ciel déployant ses teintes irréelles sur le paysage encore tout baigné de pluie.

C'était un de ces instants de grâce où tout semble justifié. Pas un signe de vie autre que la jeune femme pensive, sa rate somnolant sur son épaule, assis face au lac tandis que la brise tournait les pages du carnet posé à côté de lui, comme un passant curieux des secrets que le parchemin renfermait.